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Lettres patentes

Acte fondateur de la gens de Walewski, ce document signé par l’empereur dont Alexandre est l’impétrant, fait suite au décret impérial du 5 mai 1812. Selon la procédure définie le 1er mars 1808, seules les lettres patentes dûment retirées consolident juridiquement les titres impériaux. Cependant, à l’usage, une double procédure s’est mise en place :

– les uns, soit plus de trois mille chefs de nom et d’armes, respectent la chaîne administrative, qui comprend l’établissement des lettres patentes par le Conseil du Sceau des titres rattaché au Ministère de la Justice, l’accord du sénat conservateur, le retrait desdites lettres, la prestation de serment. Cela signifie que l’acte initié par le pouvoir exécutif est validé par le législatif puis délivré sous couvert du judiciaire.

– les autres, soit neuf cent personnes pendant toute la durée de l’Empire, sont titrées par décret impérial. En droit, il est nécessaire de consolider ledit décret par des lettres patentes et de se plier à la procédure complète, lourde, lente et onéreuse, surtout si le titre doit reposer sur un majorat. Cependant, les bénéficiaires de décret y sursoient, estimant leur titre authentique, faisant usage d’armoiries anciennes dotées des augmentations d’honneurs, brisures et enquerres en harmonie avec la codification de 1808. Ce fait du prince rappelle l’Ancien Régime, c’est-à-dire l’époque à laquelle les trois pouvoirs définis par Montesquieu n’existent pas, pas plus que le droit positif. Selon le droit divin, le souverain exerce la potestas (pouvoir temporel) et l’Église l’auctoritas (l’autorité spirituelle). Ainsi, jusqu’au 4 août 1789, au moins dans la forme à défaut de l’esprit, le roi de France exerçant la potestas délivre des lettres de noblesse que légitime le même roi incarnant l’auctoritas en qualité de lieutenant de N.-S.J.-C., oint, couronné et sacré. L’archichancelier Cambacérès ayant conscience de la portée métaphysique des actes du souverain, tolère plus qu’il n’encourage cette exception aux prérogatives du Conseil du Sceau des titres.

Parmi les rares cas de respect absolu de lettres patentes consécutives à un décret, il faut observer celui d’Alexandre Colonna Walewski, mineur représenté par sa mère. L’article 10 du décret dispose :
« L’état des biens que nous affectons au majorat du comte Walewski sera adressé avec le présent décret à notre cousin le prince archichancelier de l’Empire, afin que, sur les poursuites et diligences de la dame Walewska, il fasse rédiger dans les formes ordinaires, les lettres patentes conformes aux dispositions du présent décret, comme aussi pour qu’il ait à procéder à l’acte d’investiture que nous autorisons la dame Walewska à prendre au nom de son fils, dérogeant à cet égard, en tant que de besoin, à toutes lois, règles et usages courants. »

Seuls ceux qui ont respecté l’ensemble de la procédure peuvent se prévaloir du titre. Celui-ci n’est valide qu’après le retrait des lettres patentes, comme nous l’avons mentionné supra. Ainsi, les titres établis pendant les Cent-Jours n’ont-ils pas pu être achevés, faute pour les impétrants d’avoir pu retirer à temps leurs lettres scellées au grand sceau appendant et signées par l’empereur. Au contraire, les bénéficiaires d’un décret peuvent dès la publication se prévaloir de leur titre, ce qui les incite d’autant moins à poursuivre la procédure. Cette apparente désobéissance procède en réalité de la dilection qu’un sujet observe à l’égard du roi de droit divin dont l’aura reste présente dans les mémoires et les sensibilités depuis les Mérovingiens, nonobstant le cataclysme révolutionnaire.

Dans le cas d’Alexandre, il ne fait absolument aucun doute que le terminus post quem de son titre remonte au décret et non aux lettres patentes. Quant à l’investiture du majorat, quelques historiens ont prétendu qu’il déterminait le titre, alors que les jurisconsultes ont parfaitement identifié l’intention du législateur visant à protéger l’impétrant par un patrimoine incessible distinct du patrimoine ordinaire.

Comme toutes les lettres patentes, celles d’Alexandre portent en scel l’effigie de Napoléon παντοκρατορ, en majesté, et en contre-scel l’aigle impériale. Sculptée par l’orfèvre Thomire, la matrice déposée chez le Garde de Sceaux sert aussi bien aux lettres patentes qu’aux autres actes de souveraineté. Héritier d’un nom célèbre et glorieux de la Schlachta (la noblesse guerrière polonaise descendant des Sarmates), quel franc-quartier de comte choisir ? Il n’était pas concevable d’opter pour le signe de comte propriétaire et encore moins celui de comte officier de la Maison de S.M. l’empereur. Comme tous les titrés militaires, ses armoiries portent à dextre un franc-quartier d’azur à l’épée en pal d’argent montée d’or.

Un écu napoléonien est héréditaire en qualité d’accessoire du nom, ce qui signifie que toute la famille de l’impétrant porte le même écu que le chef de nom et d’armes sans le franc-quartier d’icelui ni les attributs extérieurs (toque et lambrequins), sachant que le fils aîné reçoit les armes du père au décès de ce dernier. Peu importe que le fils exerce l’une des fonctions déterminées par les autres franc-quartiers du système de 1808, seul compte l’écu de l’auteur de la lignée. Peu importe également l’âge, deux ans concernant Alexandre, puisqu’il devient le premier d’une future lignée, bien qu’il n’ait pas encore de descendance, pourvu que son représentant légal – sa mère – achève pour lui la filière administrative. Les lettres patentes présentent pour lui l’avantage de faire figurer explicitement le majorat, ce qui n’est pas le cas dans la forme laconique d’un décret. À cet effet, le Conseil du Sceau des titres a pour fonction essentielle d’évaluer le patrimoine de chacun et d’en extraire la part réservée au majorat ou de se contenter de préciser que le titré dépose une promesse de constitution dudit majorat.

Conformément à des précédents illustres, l’empereur peut délivrer un titre français à un noble étranger. Plusieurs membres de la haute noblesse polonaise ainsi que quelques plus modestes hobereaux servant en qualité d’officiers subalternes au régiment des chevau-légers lanciers de la garde impériale ont déjà reçu des titres de chevalier de l’Empire, voire de baron militaire. Rien ne s’oppose, nihil obstat, à ce qu’un souverain français honore un étranger d’un titre héréditaire. Ceci se pratique de nos jours avec des ordres nationaux ou ministériels décernés à titre viager, voire la médaille militaire concédée exclusivement pour faits d’armes. Napoléon en qualité de roi d’Italie a aussi délivré des titres à ses sujets, assortis d’armoiries le plus souvent au signe distinctif de la couronne de fer brochant sur champ de sinople. Napoléon aurait aussi bien pu pratiquer de la sorte avec des Suisses en sa qualité de médiateur de la Confédération helvétique, mais les impétrants des cantons ont reçu des titres français.

Reconnu par le comte Walewski, époux légitime de Marie Walewska, Alexandre Florian Joseph devient le chef de nom et d’armes d’une lignée en vertu du droit impérial. De la même façon, l’archichancelier a aussi délivré des lettres patentes à des impétrants qui étaient frères issus des mêmes parents, chacun d’eux devenant l’auteur et le premier chef de nom et d’armes de sa propre lignée, quand bien même eut-il été cadet ou puiné. Leurs armoiries présentent naturellement une nette parenté héraldique, mais Cambacérès puise dans le registre des brisures et des augmentations d’honneurs afin de les distinguer. Napoléon, fermement résolu à fonder une quatrième dynastie, rend sa vie affective conforme aux nécessités auliques : s’il épouse en seconde noce une princesse de Habsbourg à l’instar de Louis XIII et de Louis XVI, ou une infante des Austriacos comme Louis XIV, son cœur penche en faveur d’une noblesse polonaise plus modeste comme le fit Louis XV. En prénommant l’enfant Alexandre, il flatte l’orgueil des chrétientés d’Orient qui tiennent le roi de Macédoine pour un saint, et séduit les lettrés qui savent que son précepteur fut Aristote, auteur de la métaphysique à laquelle Rome devait donner forme grâce à l’imperium universel.

De la question de la transmission du titre au fils d’Alexandre et de la tragédienne Rachel

Le comte Alexandre Antoine Jean Colonna Walewski (né à Marly-le-roi le 3 novembre 1844 † à Turin le 20 août 1898) fut reconnu le 5 novembre 1844 et adopté par Alexandre Walewski en 1860 (1). Selon le droit en vigueur sous la monarchie de Juillet, cette adoption s’inscrit dans les dispositions du code civil. Toutefois, il n’est pas procédé à une inscription au registre du Sceau, parce que le régime entend rompre avec le droit hybride de la Restauration. Comme le précise le Pr. Lagarde : « la Restauration, pour les titres nouveaux qu’elle a décernés, a repris la formule ancienne de transmission à la descendance légitime et naturelle, la filiation naturelle s’opposant ici à la filiation artificielle représentée par l’adoption » (2). Sous la monarchie de Juillet, ne sont délivrés en tout et pour tout, pendant dix-huit ans, que soixante-treize actes authentiques. Lorsque le Conseil du Sceau des titres est rétabli le 8 janvier 1859 (restant actif jusqu’au 4 juillet 1870), Gautier de Biauzat veille à appliquer l’intention de Napoléon III : fondre en un même ensemble l’héritage du cabinet d’Hozier, du Conseil du Sceau des titres du premier Empire et de la Commission du Sceau de la Restauration. Il est révélateur à cet égard qu’Alexandre, qui avait déjà reconnu son fils en 1844, ait pris la précaution de l’adopter dès 1860, au tout début du rétablissement du Conseil. Il peut sembler surprenant qu’Alexandre n’ait pas jugé bon de solliciter une confirmation de titre en 1860 en faveur de son fils, mais cela s’explique aisément si l’on considère que le titre de 1812 étant juridiquement achevé, aucune mesure complémentaire ne s’imposait. De plus, l’enfant est né Français, son père ayant été naturalisé par ordonnance royale du 3 décembre 1833, alors qu’il servait en Algérie française en qualité de capitaine de la Légion étrangère. Tenons compte aussi de l’argument de l’ordre public, notion extrêmement délicate sous le Second Empire : devenu sénateur le 26 avril 1855, Alexandre possède déjà le titre de comte militaire, tandis que ses pairs conscrits qui n’auraient pas déjà ce rang, le prennent avec un franc-quartier spécifique à dextre au franc-quartier d’azur chargé d’un miroir d’or en pal, après lequel se tortille et se mire un serpent d’argent ; peut-on imaginer qu’un sénateur inamovible et comte héréditaire ne puisse pas transmettre son titre, l’enfant déjà porteur du nom ayant été successivement reconnu et adopté ?

Grâce à l’influence bénéfique de l’impératrice et de la reconquête des cœurs par l’Évangile, rendue tangible par la vénération de Notre-Dame de Guadalupe, du nom de l’Ordre fondé par l’empereur Iturbide et réveillé par Maximilien, les services éminents sont récompensés par l’ordre de chevalerie mexicain. Bien sûr, Alexandre en est récipiendaire. Parallèlement, la jurisprudence impériale s’enrichit d’une inspiration du droit canonique : la légitimité de celui-ci repose sur le dogme ; ainsi, N.-S.J.-C. descend de David et de la tige de Jessé par saint Joseph autant qu’il est le fils du Père en vertu des deux hypostases. Une telle comparaison du macrocosme au microsome ne peut qu’être favorable à Alexandre. Il existe déjà un précédent fameux en l’espèce du duc du Maine, quoiqu’il ne soit pas dynaste. De même, le souverain, neveu de Napoléon Ier, ne saurait mettre en péril les droits de son propre fils le prince impérial, roi d’Alger ; au contraire, il renforce son trône en reconnaissant la transmission du titre comtal de son cousin Walewski. Selon le jurisconsulte Henri-Louis Brin : « Les statuts organiques de la noblesse impériale sont les seuls qui prévoient la transmission des titres aux enfants adoptifs (§35 du 2e décret du 1er mars 1808) » (3). Diplomate expérimenté, juriste avisé et bien conseillé, Alexandre a parfaitement mesuré la nécessité de renforcer la reconnaissance de 1844 par l’adoption de 1860, contenant en elles-mêmes implicitement la transmission du titre.

Sous la IIIe République, les mesures restrictives désormais applicables dans un contexte politique défavorable au droit naturel ne concernent pas le titre de Walewski, mais il convient de les rappeler. Brin précise que la transmissibilité du titre à un enfant naturel ou légitimé a été examinée par la chancellerie. Celle-ci a rejeté la demande d’inscription sur les registres du sceau émanant du fils naturel du précédent titulaire, lui-même descendant légitime en ligne directe de l’auteur de la lignée. Elle a statué sur l’impossibilité de transmissibilité du titre au descendant naturel et dans le cas d’espèce sur l’annulation par les tribunaux de la légitimation dont l’enfant avait bénéficié. D’un arrêt de la Cour de cassation du 20 avril 1885 (S.86.1.113, D.P.861.23) il résulte que la Cour suprême a implicitement admis la vocation au titre de l’enfant légitimé puisqu’elle a admis la validité d’une action exercée par Pierre de C… comte de C… en vue de faire annuler la légitimation d’un mineur et d’empêcher ce mineur de se prévaloir du titre de comte de C… que des lettres patentes de 1721 n’accordaient qu’à la descendance légitime (4).

De nos jours, tout en sachant que la loi n’est pas rétroactive, la question est définitivement résolue par la loi du 3 janvier 1972 et le pourvoi 99-21134 du 29 janvier 2002 près-la Cour de cassation, faisant application du principe de non-discrimination selon la naissance, édicté par la Convention européenne des droits de l’homme. La question de la rétroactivité ne se pose plus puisque l’adoption date de 1860. Hors du régime de la succession, celui de la dévolution héréditaire d’un titre est assimilé à un accessoire du nom, figurant à l’état-civil et dans les documents officiels. Protégées comme le patronyme, les armoiries sont assimilées à son accessoire, puisque le droit positif ne reconnaît plus le corps intermédiaire qu’est la gens, ni l’identité métaphysique que traduit la science héraldique. Comme ce droit républicain n’en est pas à un paradoxe près, aujourd’hui, une dame porterait ainsi son prénom, puis le titre masculin, puis le nom ; cette disposition s’étend aux enfants qui héritent de leur vivant du titre paternel, quel que soit l’ordre de naissance.

Par-delà les atermoiements et tribulations de la législation depuis deux siècles, il serait difficile d’accorder du crédit à une instance contemporaine osant s’opposer à la légitimité de la transmission du titre d’Alexandre à sa descendance. Il convient aussi de rendre hommage à la mémoire du lieutenant-colonel comte Walewski, tué à l’ennemi le 2 octobre 1916 à Villers-Cotterêts, sans descendance : ce poilu de la Grande Guerre entre dans le cadre d’application de la loi du 2 juillet 1923 encourageant le relèvement du patronyme éteint d’un parent mort pour la France : qu’est-ce qui empêcherait la famille collatérale de relever l’accessoire du nom afférent ? De nombreux jurisconsultes se sont interrogés sur la transmissibilité ou l’intransmissibilité du titre en ligne collatérale ; de brillantes et savantes plaidoiries illustrent ce débat, mais il semble que personne ne se soit soucié du précédent le plus illustre : Henri IV descendant de Saint Louis.

Nous ne pouvons que saluer la sagesse et le discernement du législateur sous le Second Empire.

Philippe Lamarque
docteur en théologie, docteur en droit, docteur ès lettres

(1) Révérend, p.393, note 5.
(2) LAGARDE (Pr.), « La personne et le droit de la famille », Revue trimestrielle de droit civil, 1939, p.445.
(3) BRIN (Henri-Louis), La survie des titres de noblesse, p.222. R.T.D.civ., 1939.
(4) op.cit. p.223 passim.