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Le Congrès de Paris, 1856

Le Congrès de Paris, qui marque la consécration de la carrière diplomatique d’Alexandre, Ier comte Colonna Walewski, met fin à la guerre de Crimée. Guerre marquante du milieu du XIXe siècle, elle est souvent qualifiée de « première guerre moderne », révélatrice de ce que les violences de guerre vont en s’accentuant depuis le début du XIXe siècle. La guerre de Crimée a été la conséquence d’une crise nouée autour de la question d’Orient, qui a miné régulièrement les relations diplomatiques au cours du XIXe siècle.

Depuis février 1851, Alexandre Walewski est l’ambassadeur de France à Londres. Alors qu’il venait de réussir à faire accepter à la couronne britannique le coup d’État puis la proclamation de l’Empire, Alexandre Walewski devient un artisan essentiel de « l’entente cordiale ». Il ne souhaite pas pour autant la brouille avec la Russie, et il désapprouve la guerre de Crimée, qu’il juge inutile.

Elle n’en éclate pas moins, en octobre 1853. Le tsar Nicolas Ier, convaincu de ce que la faiblesse de l’Empire ottoman est structurelle et ne peut qu’aller en s’aggravant, entend confirmer la domination de la Russie dans cet espace. La question des Lieux saints devient dès lors un prétexte pour la Russie. Saint-Pétersbourg s’oppose à Paris, qui demande le respect de ses privilèges : la France est en effet la gardienne des Lieux saints, depuis les Capitulations de 1740. Or, en raison du dynamisme des Eglises orthodoxes au Proche-Orient, les installations religieuses en Palestine se multiplient et la présence chrétienne latine se trouve compromise. En décembre 1852, le Sultan a rendu un arbitrage en faveur des Français, mais les Russes ont alors déplacé la question de la seule protection des Lieux saints vers celle de la protection des populations orthodoxes dans l’ensemble de l’empire ottoman. Ils revendiquent publiquement, en mai 1853, le droit de veiller à la sécurité de tous les sujets orthodoxes de l’empire ottoman. Le refus du Sultan entraîne la rupture des relations diplomatiques entre la Turquie et la Russie. Le 4 octobre 1853, l’empire ottoman déclare la guerre à la Russie. Or ni l’Angleterre, ni la France ne peuvent accepter que le tsar exerce son hégémonie en mer Noire, où il vient de détruire la flotte turque. Dès lors la France et l’Angleterre combattent ensemble dans une guerre où les efforts pour vaincre l’adversaire sont considérables.

En mai 1855, Walewski, devenu, par son ambassade à Londres, le plus important ministre plénipotentiaire de Napoléon III, s’impose comme le chef de la diplomatie française. Après la démission de Drouyn de Lhuys, le 5 mai 1855, il est rappelé à Paris pour prendre en charge le Quai d’Orsay.

La chute de Sébastopol, en septembre 1855, où l’armée française a joué le rôle principal, ouvre la voie aux négociations diplomatiques. Les préliminaires de paix, signés en février 1856, mettent fin à des combats devenus de plus en plus meurtriers. Ils sont établis sur quatre principes : le renoncement des Russes à leur influence dans les provinces de Moldavie et de Valachie, une garantie internationale collective pour les populations orthodoxes de l’empire ottoman, la liberté de navigation dans les bouches du Danube et la révision des conditions de circulation dans les détroits du Bosphore et des Dardanelles.

Le Congrès de Paris, qui s’ouvre le 25 février au Quai d’Orsay sous la présidence de Walewski, marque l’apothéose de la diplomatie impériale : la France et Napoléon III semblent alors les arbitres du monde. Cinq puissances sont d’office représentées au Congrès : d’une part, la France, l’Angleterre et la Turquie, d’autre part la Russie et enfin l’Autriche qui, sans être belligérante, est alliée aux puissances maritimes et a joué un rôle diplomatique pour conduire la Russie à demander la paix. Prend place également dans ce congrès le Piémont, qui est allié de la France et de l’Angleterre et qui a envoyé 15 000 hommes en Crimée. La Prusse en revanche n’est initialement pas autour de la table, puisqu’elle a refusé de rejoindre le camp des alliés. Chaque puissance a deux représentants. L’identité de chacun est soigneusement présentée dans le livre du Congrès, dont chaque page vaut une lecture attentive.

Le Congrès se tient dans le tout nouveau ministère des Affaires étrangères, construit sur le quai d’Orsay, dont l’édification avait débuté en 1844. C’est un nouveau joyau du faubourg Saint-Germain : vastes salons, hautes cheminées, stuc et marbre, belles tapisseries, tout y respire élégance et opulence. Les travaux diplomatiques sont accompagnés d’une vie mondaine et festive destinée à manifester le prestige de la France. Napoléon III souhaite que les fêtes et réceptions qui ponctuent le temps du Congrès rivalisent avec celles qui, quarante ans plus tôt, avaient fait une partie du prestige du Congrès de Vienne.

La première réunion a lieu le 25 février. Walewski y proclame en ouverture que « nous saurons accomplir […] la grande tâche qui nous est dévolue, sans perdre de vue la juste impatience de l’Europe dont les yeux sont fixés sur nous ». Dès ce premier jour, les délégués se mettent d’accord sur un armistice dont l’expiration est fixée au 31 mars. Le 4 mars, le premier article du traité est rédigé : il proclame la neutralité de la mer Noire et fait perdre à la Russie son rang de puissance prépondérante dans cet espace. Le traité de paix est signé le 30 mars, alors que, dans la nuit, la comtesse Walewska a mis au monde une petite fille, Eugénie, qui sera filleule de l’empereur et de l’impératrice.

Les clauses du traité de Paris consacrent l’affaiblissement de la Russie dans les Balkans, puisque les provinces de Moldavie, de Valachie et de Serbie échappent à son influence : le protectorat russe est remplacé par une garantie collective des puissances signataires du traité. La navigation sur le Danube est libre, une commission européenne composée de représentants des puissances signataires doit veiller au respect de ce principe. La mer Noire est neutre, ni flotte de guerre ni arsenal ne peuvent plus y être déployés, ce qui prive la Russie de bases essentielles. La convention de 1841, qui fermait les Détroits aux bâtiments de guerre en temps de paix, est révisée pour autoriser le stationnement des navires légers des puissances signataires au débouché du Danube. Enfin, le tsar perd son rôle de défenseur de la foi chrétienne dans l’empire ottoman, il ne lui appartient plus d’intervenir militairement pour protéger les sujets chrétiens du Sultan, qui font désormais l’objet d’une garantie internationale.

Au total, le Congrès de Paris a permis d’effacer la honte des traités de 1815, la France a repris une place éminente en Europe. Le fait même que le Congrès ait été présidé par le fils de Napoléon renforce la symbolique de la revanche. En récompense de son rôle dans ces négociations de la plus haute importance pour la place de la France dans le monde, le comte Colonna Walewski est nommé grand-croix de la Légion d’honneur.

Natalie Petiteau
Professeur d’histoire contemporaine
Université d’Avignon – Centre Norbert Elias

Françoise de BERNARDY, Walewski, le fils polonais de Napoléon, Paris, Perrin, 1976, 365 p.
Alain GOUTTMAN, La guerre de Crimée, 1853-1856. La première guerre moderne, Paris, Perrin, 2003, 436 p.
Jacques-Alain de SÉDOUY, Le concert européen. Aux origines de l’Europe, 1814-1914, Paris, Fayard, 2009, 483 p.