Lettre d’Alexandre Dumas père à Rachel

Lettre d'Alexandre Dumas père à Rachel - Patrimoine Charles-André COLONNA WALEWSKILettre d'Alexandre Dumas père à Rachel - Patrimoine Charles-André COLONNA WALEWSKILettre d'Alexandre Dumas père à Rachel - Patrimoine Charles-André COLONNA WALEWSKILettre d'Alexandre Dumas père à Rachel - Patrimoine Charles-André COLONNA WALEWSKILettre d'Alexandre Dumas père à Rachel - Patrimoine Charles-André COLONNA WALEWSKILettre d'Alexandre Dumas père à Rachel - Patrimoine Charles-André COLONNA WALEWSKILettre d'Alexandre Dumas père à Rachel - Patrimoine Charles-André COLONNA WALEWSKILettre d'Alexandre Dumas père à Rachel - Patrimoine Charles-André COLONNA WALEWSKILettre d'Alexandre Dumas père à Rachel - Patrimoine Charles-André COLONNA WALEWSKI 
De : Alexandre Dumas (père)
À : Rachel
Date : 9 juillet 1843

Lettre autographe signée d’Alexandre Dumas père à Rachel, avec le brouillon autographe signé, tous deux datés du 9 juillet (1843).

« Je reçois une lettre au timbre de Marseille. Mon premier mouvement est une grande joie, mais aussitôt je reconnais l’écriture de Mery et je me reproche ma fatuité qui m’a fait croire un instant à ce que j’avais tant désiré.

Cependant je ne perds pas tout : Mery me parle de vous : deux pages de la lettre vous sont consacrées tout entières et je ne me souviens que de celles-là : il m’apprend la continuation des triomphes auxquels j’ai assisté, puis enfin votre départ pour Lyon. Je puis donc vous écrire.

Vous auriez trouvé vingt lettres en arrivant si je n’eusse été éternellement pris de la crainte qu’une de ces lettres ne s’égarât en vous attendant. Pour risquer pareille chose il faut être plus heureux que je ne le suis. Je me suis donc condamné moi-même au silence de la plume quand j’aurais cependant été si heureux de vous écrire.

Si vous saviez combien de fois avec un profond serrement de coeur, il m’est venu à l’idée que vous aviez déjà oublié mon passage à Marseille, si vous saviez combien ces deux jours ont marqué et marqueront dans ma vie, si vous saviez quel jeune et frais bonheur vous m’avez donné, si vous saviez combien de fois depuis ce temps ce souvenir s’est mêlé à ma vie, si vous saviez – j’allais dire si vous saviez combien je vous aime.

Quelle chose étrange ; j’étais prédestiné à cela. Je vous l’ai dit : du jour où je vous ai vue tout a été décidé. Je n’avais aucun droit aucune espérance et cependant de ce jour vous êtes demeurée cachée dans un pli de mon coeur. Forcé de retourner à Florence je devais partir par le midi et revenir par la Belgique ; mais en suivant cet itinéraire je ne vous voyais pas. J’ai tout changé, je suis parti par la Belgique et je suis revenu par Marseille. On voulait me retenir à Gènes, et me faire rentrer en France par Turin, un jour je vous dirai qui, et vous saurez alors si j’avais le désir de vous voir puisque j’ai refusé.

Eh bien je vous ai vue. Je vous ai vue telle que je vous espérais, comprenant à mes premières paroles, à mes premiers regards combien vous étiez aimée. Nous nous étions quittés si froidement qu’au moment de partir j’ai senti que je serais trop malheureux si je partais ainsi. J’ai couru au théâtre. Je vous ai revue. Vous avez laissé tomber quelques bonnes paroles sur mon coeur et je suis parti fou.

Avez-vous pensé quelque peu à moi dites&nbsp! Cette promesse faite au bord de la mer de ne point oublier notre douce soirée – l’avez-vous tenue. Quand je vous reverrai, quand je vous tendrai la main, est-ce ma belle promeneuse du Prado que je retrouverai, ou la froide reine du quai Voltaire. Non ce sera la première, n’est-ce pas. Ce sera l’ange du 23 juin. Ce serait une trop grande opposition que ce fut autrement, vous oublieuse et moi me souvenant si bien.

Si vous saviez comme vous êtes belle, comme vous gardez même dans l’intimité ces grandes qualités théâtrales qui vous font si magnifique sur la scène. Comme vous écoutez, comme vous regardez, comme chaque trait de votre visage donne la crainte ou l’espoir. Partout vous êtes une reine, pleine de séductions et de majesté – une de ces reines qu’on adore et devant lesquelles on tremble. Je vous dis de loin que je vous aime, de près je n’oserai peut-être pas vous le répéter.

Adieu ou plutôt au revoir et à revoir bientôt, car je ferai bien certainement quelque folie ne fut-ce que pour vous regarder passer, et pour baiser le bas de votre robe en passant.

Au revoir donc, et n’oubliez pas que vous tenez dans votre main plus de bonheur que le ciel m’en a jamais donné.

Tous les amours de l’âme et tous les respects du coeur.

Alex Dumas

Je parie que vous ne savez même pas quelles sont les feuilles fanées que je vous renvoie dans cette lettre.

Dimanche 9 juillet. »