Rachel dans le rôle de Camille par Achille Devéria

Rachel dans le rôle de Camille par Achille Devéria - Patrimoine Charles-André COLONNA WALEWSKIRachel dans le rôle de Camille par Achille Devéria - Patrimoine Charles-André COLONNA WALEWSKIRachel dans le rôle de Camille par Achille Devéria - Patrimoine Charles-André COLONNA WALEWSKIRachel dans le rôle de Camille par Achille Devéria - Patrimoine Charles-André COLONNA WALEWSKI  Auteur : Achille Devéria (1800-1857)
Matériau : Huile sur toile
Époque : 1840
Dimensions : 46 x 38 cm

Rachel dans le rôle de Camille par Achille Devéria.

À dix-sept ans, dès son début à la Comédie-Française, en 1838, dans le rôle de Camille, Rachel Félix, plus connue sous le nom de Rachel, exerça une fascination qui ne devait jamais réellement s’éteindre. Si le public se prit de passion pour cette tragédienne qui apportait un souffle de renouveau sur un genre tombé en désuétude dix ans plus tôt avec l’essor du drame romantique, les artistes furent les premiers témoins du phénomène qui bousculait le théâtre français, et bientôt mondial.

De petite taille, frêle et habitant ses rôles d’une voix qui transperçait l’âme, la jeune comédienne allait imposer un jeu naturel qui à lui seul devait marquer le retour durable de la tragédie sur la scène. Elle fut dés les années 1840, et ce durant vingt ans, la plus grande tragédienne de son temps. Un temps maîtresse du comte Walewski, fils naturel de Napoléon, et adulée des publics du monde entier, elle est encore aujourd’hui considérée comme la première véritable « star » sur les planches du monde, de l’Europe jusqu’aux Etats-Unis.

Connu par les célèbres portraits que réalisèrent Amaury-Duval, Gérome, O’Connel ou Charles Louis Müller, le visage de Rachel ponctue la peinture et la photographie jusqu’à sa mort en janvier 1858, rendu avec un souci inégal de fidélité des traits selon les artistes qui figèrent tantôt la gestuelle, tantôt le costume ou encore cette expression naturelle qui transcendait ses rôles.

Ce portrait, réalisé par Achille Devéria au début de la carrière de la comédienne, se concentre entièrement sur l’expression de l’actrice dans le rôle de Camille que Jacqueline Razgonnikoff a pu identifier grâce au ruban qu’elle porte dans les cheveux. Comme Chassériau dans le portrait qu’il a réalisé de la comédienne en scène, ou comme Müller qui la fit poser pour donner plus de vérité à sa Lady Macbeth, Devéria ne retient dans notre portrait que ce qui fait le jeu de la comédienne, capturant sur la toile un visage qui est le plus proche des photos de la tragédienne. Moins idéalisée que chez Amaury-Duval ou chez Dubufe, elle apparaît comme dans un instant suspendu, s’apprêtant à déclamer Corneille.

Ce tableau est d’autant plus important que celui qui fut attribué à Achille Devéria conservé à la Comédie-Française, sans doute le plus célèbre de Rachel, a été rendu par Olivia Voisin à son auteur, Dedreux-Dorcy, qui a réalisé plusieurs portraits de l’actrice. L’attribution à Devéria s’explique probablement par l’existence un autre portrait lithographique que le peintre réalisa de la comédienne dans le rôle clé de Roxane et qui ne pouvait que plaire aux romantiques. Ce portrait est sans doute atypique dans son oeuvre où les portraits sont rares dans les années 1840, mais son identification ancienne témoigne de l’engouement de toute la génération des peintres de cette époque pour cette figure tragique qui révolutionnait le regard sur les sujets antiques.

Dans une position inspirée, la tête délicatement baissée, laissant apparaître un long cou à la noble sensualité, Rachel présente des traits fins et délicats réalisés avec une grande économie de moyens. Une savante variation de tons ocres suffit à donner du volume et à faire ressortir avec noblesse la blancheur de sa peau. Le pigment est soutenu dans son vêtement, il est au contraire clair dans le traitement de la chair émaillée de légères nuances de couleur qui font venir palpiter délicatement le sang sous la peau et captent « le feu que Rachel faisait brûler sous la glace ». Le rendu complexe du ruban blanc entrelacé dans la chevelure de la jeune romaine campée par Rachel et se détachant par touches perdues dans le sombre volume capillaire renforce l’élégance retenue qui émane du personnage. Le drame, mis en scène, va subtilement se jouer devant les spectateurs. L’héroïne, sœur des Horaces, pleure la mort de son fiancée et se dénoue les cheveux qui tombent délicatement derrière sa tête pour aller recouvrir avec volupté son sein gauche. Les yeux clos, dans la pénombre, les lèvres pulpeuses finement entrouvertes, suggèrent que l’actrice est en pleine intériorisation de son rôle, s’apprêtant d’un instant à l’autre à déclamer l’amour et la colère de Camille. Elle se détache délicatement sur un fond gris savamment brossé, dans un jeu subtil d’ombres et de lumière qui renforce son aspect sculptural. Ce beau tableau tout en nuances est un merveilleux témoin du savoir-faire du peintre qui rend vivante la présence de la femme et de la tragédienne, connue pour son jeu qui « sans avoir de connaissances ni de goûts plastiques, possédait instinctivement un sentiment profond de la statuaire.»

Deveria peint une véritable mise en scène de Rachel habitée par son rôle. Il saisit dans la toile, dans une immobile solennité, un court instant d’inspiration intime, suspendant la seconde précédant une tirade qui suscitera les applaudissements de la foule.