Paire de vases : Le couronnement de l’Empereur et l’Impératrice

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Auteur : Piat Sauvage (1744-1818)
Matériau : porcelaine de Sèvres
Époque : 1808
Hauteur : 42,5 cm
Liens :  Napoléon Ier
Impératrice Joséphine

Importante paire de vases de forme Médicis en porcelaine de Sèvres à fond bleu lapis et or, et décor imitant des bas-reliefs de bronze représentant des scènes allégoriques : La Victoire couronnant l’Empereur et l’Impératrice, chacune signée du célèbre artiste Sauvage. Marqués de la vignette de la Manufacture Impériale de Sèvres avec le signe pour l’année 1808.

PAIRE DE VASES MÉDICIS EN PORCELAINE DE SÈVRES
1805-1806

Fond beau bleu, frise continue couleur bronze représentant des femmes antiques et amours couronnant de laurier des bustes de Napoléon et de Joséphine, et encensant des bustes de Minerve. Riche décor doré.
Marque imprimée avec code de date pour l’An XIII (23 Septembre 1804 – 22 Septembre 1805).

Signés Sauvage sur le socle des bustes de Napoléon et de Joséphine.

Provenance: Louis-Philippe, comte de Ségur, Grand-Maître des cérémonies du Premier Empire. Gilbert Lévy. Roger Imbert.

Exposition: La Porcelaine Française de 1673 il 1914, Pavillon de Marsan, Musée du Louvre, 1929, no. 1156. Propriété de Gilbert Lévy.

H. 42.5 cm.

L’HISTORIQUE

Napoléon I, Empereur des Français, se trouvait au faîte de son pouvoir au début de 1806.
A son retour à Paris, après ses victoires à Ulm et Austerlitz, deux mariages dynastiques serviront à consolider sa réputation de souverain en période de paix, et affirmer la position de la Cour Impériale.

Les deux familles princières choisies avaient beaucoup bénéficié de leur alliance avec. Maximilien, Electeur de Bavière, avait réussi à obtenir le titre de Roi l’année précédente. Sa fille est donnée en mariage à Eugène de Beauharnais (fils de Joséphine par son premier mariage). Charles, Margrave de Bade, verra son alliance avec la France récompensée par le titre d’Electeur en 1803, puis Grand Duc en 1806. Son fils obèse le Prince Héréditaire, également prénommé Charles, est marié à l’âge de 19 ans à la princesse Stéphanie Napoléon, alors âgée de 16 ans.

Tout comme Eugène, Stéphanie est membre de la famille Beauharnais. Elle est la fille de Claude de Beauharnais, un officier de la garde de Louis XVI, et cousin germain d’Alexandre, le premier mari de Joséphine, qui épouse à Versailles en 1787 Adrienne de Lézay-Marnésia. Leur fille est née dans cette ville en 1789.

Comme Napoléon n’avait pas parmi les membres de sa famille des candidats présentables dans le monde de l’aristocratie, il avait donc été obligé de se servir de ceux de Joséphine pour se forger des alliances avec avec les têtes couronnées d’autres états européens.

Il se trouve que Napoléon aimait beaucoup la jeune Stéphanie. Afin qu’elle possède un rang digne d’un mariage avec un prince d’une famille souveraine, il va jusqu’à l’adopter comme sa fille le 24 mars 1806, lui donnant pour nom de famille « Napoléon ». Cette action va déplaire aux sœurs de l’Empereur, car l’étiquette voudra dorénavant que Stéphanie ait précédence sur elles aux cérémonies de la Cour.

L’Empereur utilisa cette occasion pour faire de nombreux présents, à la famille de Bade, à la sienne, ainsi qu’aux grands officiers de la Cour Impériale, dont certains étaient ses maréchaux victorieux, et aux officiants à la cérémonie §1. Dans un acte de continuité avec la pratique établie sous Louis XV cinquante ans auparavant, une partie importante des présents avaient été produits par la manufacture impériale de porcelaine à Sèvres.

Un registre conservé aux archives de Sèvres nous indique la livraison de ces vases §2 en mai ou juin 1806 §3 à « Mr de Ségur, Grand-Maitre des Cérémonies, à l’occasion de la Princesse Stéphanie » §4.

Louis-Philippe, comte de Ségur (1753-1830), est le fils du maréchal de Ségur, ministre de la Guerre sous Louis XVI. De tendance libérale, il va en Amérique combattre avec Rochambeau, puis est nommé ambassadeur en Russie. Après la Révolution, il se ralliera au Premier Consul, restant fidèle à Napoléon au point de se proposer pour l’accompagner à Saint Hélène.

En 1804, il est nommé à la charge de Grand-Maître des Cérémonies, une des plus importantes de la Cour Impériale. Il l’occupera jusqu’à la fin de l’Empire. Selon Charles-Otto Zieseniss, « plus que tout autre, Ségur a contribué à la dignité et à la splendeur de la Cour impériale » §5.

Cette position importante lui vaut de recevoir un présent considérable en cette occasion, y-compris un service de table à fond jaune avec un surtout en biscuit, ainsi que cette paire de vases, un cabaret à décor étrusque en noir et rouge, une corbeille de fleurs en biscuit, une coupe à bouillon et une tasse et soucoupe, le tout pour une valeur de 8649 Francs.

La paire de vases est décrite comme ceci: « 2 vases forme Médicis par Sauvage, les Arts rendent des hommages à l’Empereur et à l’Impératrice ». A 1600 Francs, ils sont les éléments les plus chers du présent. A titre de comparaison, la paire de vases donnée à Talleyrand à cette occasion valait 1200 Francs. Il avait pourtant été l’architecte principal de cette alliance.

LES VASES

Cette forme, très classique, est déjà produite en quelques exemplaires à Vincennes vers 1750, puis utilisée à Sèvres pour le Grand Vase en 1783, mais apparait sous la présente forme juste avant 1800, et sera réalisée en plusieurs tailles et avec plusieurs variantes, principalement en ce qui concerne les anses.

Le décor est l’œuvre de Piat-Joseph Sauvage, peintre flamand (1744-1818) §6. Il fait partie de ce groupe d’artistes, qui, membres de l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture, se reconvertiront à cause de la Révolution pour diversifier dans plusieurs domaines des arts décoratifs, y-compris la porcelaine. Grâce à sa spécialité très en vogue, la carrière très remplie de Sauvage suivait pourtant un cours très précis: il peignait des scènes antiques en trompe l’oeil, qui servait surtout de décors architecturaux, tels des dessus de portes, pour une clientèle royale et aristocratique.

Natif de Tournai, Sauvage arrive à Paris probablement vers 1770, et expose aux Salons de l’Académie de Saint Luc dès 1774, puis aux Salons du Louvre à partir de 1781. Il est accepté à l’Académie Royale en 1783. Ses sujets antiques, mythologiques ou allégoriques imitaient le marbre ou le bronze, et trouvèrent rapidement faveur auprès de la famille royale. Sa première œuvre documentée pour Versailles, en 1780-81, est une série de trois peintures imitant la sculpture en bas-relief, pour le trumeau de cheminée et deux dessus de porte pour la salle de bains de Madame Adélaïde, une des tantes de Louis XVI. Les commandes royales vont abonder, probablement grâce à ses relations avec le directeur des Bâtiments du roi, le comte d’Angiviller, qui l’employait également pour aller aux expositions de ventes aux enchères aux Pays-Bas pour acheter des peintures pour les futures collections du Musée du Louvre. Des nombreuses réalisations de Sauvage pour les palais royaux, peu ont survécu. On peut citer parmi celles-ci les dessus de porte de Compiègne ou ceux de la salle à manger de la laiterie de Rambouillet, et regretter les œuvres disparues comme la voûte du grand salon du château de Bellevue pour Mesdames.

En fait, Sauvage commence sa diversification un peu avant la Révolution. Sa première œuvre documentée à petite échelle est la série de huit médaillons sur la porte du meuble à bijoux de Marie-Antoinette, peints en 1788. L’époque des grands décors architecturaux est révolue, et Sauvage va changer de direction, pour produire des œuvres de taille plus modestes mais tout aussi charmantes, comme les plaques de tabatières à portraits, ou encore les panneaux de marbre blanc peints avec des motifs qui ressemblent à ceux des vases Ségur, pris dans des cadres en bois doré.

L’introduction de Sauvage à la porcelaine s’est faite par l’intermédiaire de deux personnages hauts en couleur: le collectionneur anglais William Beckford, et le céramiste de génie Jean-Christophe Dihl, dont la manufacture va pour un temps rivaliser avec celle de Sèvres.
En 1793, Beckford commande à Sauvage un secrétaire décoré de plaques peintes. Ce meuble est vraisemblablement celui conservé aujourd’hui au Palais Royal de Madrid, et porte des plaques peintes sur porcelaine, ivoire et pierre dure. La plaque circulaire centrale de l’abattant est en porcelaine blanche à décor de Cérès tirée dans un char, dans des couleurs identiques à celles des vases Ségur. Non seulement elle est signée Sauvage sur le char, mais elle porte également l’inscription « Manuf. De Guérhard et Dihl, Sauvage f. », ce qui implique l’artiste non seulement dans la peinture du décor, mais aussi dans le dessein de l’ensemble.

Sauvage va œuvrer pour la manufacture de Dihl pendant plusieurs années, au cours desquelles il sera responsable de certains chefs-d’œuvre comme la paire de vases monumentale de vers 1804, destinée à l’Espagne §7

Il était tout à fait naturel qu’Alexandre Brongniart, le directeur de la manufacture de Sèvres depuis 1800, fasse des tentatives pour s’accaparer les talents d’un peintre comme Sauvage, qui dut lui aussi être sensible à l’attrait de peindre pour la manufacture impériale. Pendant deux ans, de 1805 à 1807, Sauvage est payé pour quelques ouvrages, surtout des vases et des assiettes. Il ne travaillait donc pas comme salarié de la manufacture à plein temps, mais seulement sur un nombre restreint de pièces, ce qui lui permettait de continuer son activité parisienne.

Les archives de la manufacture sont en général assez claires, mais ici elles nous font défaut. Le registre de sortie (Vbb2) porte en marge le numéro d’entrée, 169-24, mais la série 169 à laquelle il renvoie n’est plus conservée. Quand à la feuille au nom de Sauvage du registre des travaux aux pièces pour 1805-06, une paire de vases y est partiellement mentionnée, mais rayée. On peut lire la phrase incomplète « 2 vases Médicis fd bleu zone blanche pour… « , sans prix noté. Plus bas, en juin 1806, Sauvage est bien payé pour « 2 vases Médicis fd bleu Bas reliefs des 4 Saisons en bronze vert », pour lesquels il reçoit 600 Francs, mais ce ne sont clairement pas nos vases car le sujet n’est pas le même.

Le sujet des deux vases est absolument typique de l’artiste, qui savait savamment mélanger des personnages tirés d’un répertoire qu’il avait dû se constituer au cours de sa carrière, inspiré de modèles antiques mais aussi vraisemblablement des bas reliefs de son compatriote van Opstal et des sculptures de Clodion. On retrouve ces femmes antiques et surtout ces amours sur de multiples œuvres de Sauvage. Ainsi l’amour volant à gauche du buste de Napoléon est également présent sur une plaque en marbre du Musée du Cinquantenaire à Bruxelles et sur un vase de Dihl du Musée National de Céramique, sur lequel on retrouve le même buste casqué de Minerve.

Par leur hommage rendu à l’Empereur et à l’Impératrice, ces vases sont le reflet de la loyauté du comte de Ségur envers Napoléon. Il ne fait aucun doute qu’il les a installé chez lui avec fierté et qu’ils servirent de symbole de son attachement à sa cause.

§1 Rosemarie Stratmann-Döhler, « Zur Hochzeit von Stephanie de Beauharnais. Höfische Geschenke aus der kaiserlichen Porzellanmanufaktur Sèvres », Weltkunst, Janvier 1995, pp.16-19.

§2 Porcelaines livrées pour le compte de l’Empereur, Vbb2, 53 v°.

§3 Aucune date n’est précisée, mais la livraison précédente date du 8 mai, et la suivante du 26 juin.

§4 Le scribe a commis une légère erreur. Les autres livraisons portent la mention « à l’occasion du mariage de la Princesse Stéphanie ».

§5 Charles-Otto Zieseniss, Napoléon et la Cour impériale, Paris, 1980, pp. 171-175.

§6 Cyrille Froissart et John Whitehead, « Le peintre Piat-Joseph Sauvage et la porcelaine »,Cahiers de Mariemont, 32-33, 2005, pp.35-39.

§7 Collection J. Kugel.